Paru dans la "Revue de DROIT FISCAL" du 7 OCTOBRE 2010
par Jérôme DELAURIÈRE, avocat associé, Gibson Dunn et Charlotte PREST, avocat, Gibson Dunn
La jurisprudence élaborée par la Cour européenne des droits de l'homme relativement à la conformité de la procédure de visites et de saisies domiciliaires (LPF, art. L. 16 B) à l'article 6, § de la Convention EDH incite à s'interroger sur la conventionnalité, au regard des mêmes dispositions, du droit d'enquête TVA (LPF, art. L. 80 F), compte tenu des similitudes qui existent entre ces deux procédures.
1. Introduction
1- À l'occasion de plusieurs arrêts de principe 1, la Cour européenne des droits de l'homme (ci-après « Cour européenne ») a condamné le droit de visite prévu à l'article L. 16 B du LPF au motif que ce dispositif violait le droit au recours effectif prévu à l'article 6, § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme (ci-après « Convention EDH »). Cette jurisprudence a été abondamment commentée 2 et a obligé le législateur à rapidement réagir. C'est ainsi que les contribuables faisant l'objet d'une visite domiciliaire bénéficient désormais d'un recours de plein contentieux devant le premier président de cour d'appel territorialement compétent. Ce recours permet aux contribuables de contester tant (i) la validité de l'ordonnance ayant autorisé la visite domiciliaire que (ii) les modalités de réalisation de cette visite 3.
Bien que rendue en matière fiscale, la jurisprudence de la Cour européenne a également conduit le législateur à réformer les dispositions législatives relatives au droit de visite dans de nombreux autres domaines du droit 4, comme cela avait été anticipé par le doyen Hatoux 5. De fait, le régime des visites domiciliaires instauré en matière fiscale par l'article 94 de la loi n° 84-1208 du 29 décembre 1984 a inspiré de nombreuses procédures équivalentes dans d'autres domaines du droit.
La contagion engendrée par l'arrêt Rayon semble toutefois s'être arrêtée au seul domaine des visites domiciliaires stricto sensu. En particulier, le législateur n'a pas jugé utile de réformer les dispositions des articles L. 80 F et suivants du LPF, communément désignées sous le nom de « droit d'enquête TVA » 6 (ci-après le « droit d'enquête »). L'analyse des travaux parlementaires ayant donné lieu à l'adoption de la réforme des dispositions de l'article L. 16 B du LPF montre que la question de la compatibilité des dispositions des articles L. 80 F et suivants du LPF avec la jurisprudence Rayon n'a pas été évoquée lors des débats 7. Faut-il y voir la confirmation implicite de la conventionalité du droit d'enquête, version « light » de la visite domiciliaire ?
Dans le contexte européen de renforcement de la protection des libertés individuelles des contribuables illustré par la jurisprudence Rayon, il nous semble que la réponse à cette question ne va pas de soi
8. De fait, l'exercice du droit d'enquête qui, contrairement aux visites domiciliaires, est faiblement encadré par les textes, présente de nombreuses similitudes avec la procédure de l'article L. 16 B du LPF.
La question de la conventionalité du droit d'enquête ne présente pas seulement un intérêt théorique. De nombreuses vérifications de comptabilité sont précédées de l'exercice d'un ou de plusieurs droits d'enquête et les propositions de rectification qui s'en suivent sont souvent motivées, au moins en partie, par les informations collectées et les auditions réalisées lors de ces enquêtes 9. Les informations collectées peuvent également motiver, le cas échéant, un dépôt de plainte pour fraude fiscale. Par ailleurs, l'exercice du droit d'enquête permet aux services fiscaux, le cas échéant, de collecter des informations sur des tiers qui se verront opposer ces renseignements au cours d'une vérification de comptabilité les concernant (lesdits tiers pouvant alors difficilement contester les modalités de réalisation de cette enquête et des auditions réalisées). L'administration fiscale utilise régulièrement les informations obtenues lors d'enquêtes TVA pour motiver des demandes de visites domiciliaires auprès du juge des libertés et de la détention. Enfin, la réalisation d'une enquête TVA permet la mise en oeuvre de la procédure de flagrance.
L'administration fiscale utilise donc fréquemment le droit d'enquête car il s'agit d'une procédure au formalisme allégé, très simple à mettre en oeuvre et peu risquée au plan juridique, par opposition aux visites domiciliaires qui font l'objet de nombreux recours engagés par les contribuables qui contestent désormais fréquemment leur validité. En outre, jusqu'à une période récente 11 et de manière paradoxale, le droit d'enquête offrait un avantage clé par rapport à la procédure de visite domiciliaire, à savoir celui de pouvoir auditionner les personnes présentes.
La question de la compatibilité du droit d'enquête avec la Convention EDH mérite donc d'être analysée. À cet effet, nous rappellerons brièvement les grands principes dégagés par la jurisprudence européenne en matière de respect du droit au domicile (1). Nous analyserons ensuite la conventionalité du droit d'enquête au regard de cette jurisprudence (2).