Par Jérôme Delaurière et Charlotte Prest, avocats au barreau de Paris, Gibson Dunn &Crutcher LLP
La loi de finances rectificative pour 2008 contient son lot de surprises. Celle que nous aborderons concerne la cession d’une filiale intégrée dans le contexte d’une procédure collective.
En effet, la loi introduit une exception importante au principe habituel selon lequel les déficits générés par une filiale pendant l’intégration fiscale sont définitivement acquis à la société mère.
1. Une exception bienvenue
Selon cette exception, la filiale dont les titres sont cédés retrouve désormais le droit d’imputer une fraction du déficit (et des moins-values à long terme d’ensemble) sur son résultat lorsque les deux conditions suivantes sont réunies : – une procédure de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaire est ouverte à l’encontre d’une société membre d’un groupe (i.e. donc pas forcément à l’encontre de la filiale cédée ou de sa société mère) ; – le transfert des titres de la filiale (par voie de cession, apport, échange…) intervient dans un délai de 18 mois après l’ouverture de la procédure.
Les pertes fiscales qui sont réallouées à la filiale sortante correspondent à la fraction du déficit (et de la moins value nette à long terme d’ensemble) que cette dernière a transmis au groupe et qui reste reportable à la clôture de l’exercice du groupe précédant celui au cours duquel intervient le transfert des titres2 . Ce montant n’est pas minoré des éventuelles réintégrations de sortie souvent dues en cas de sortie du groupe (déneutralisation des plus-values de cessions intragroupes, des abandons de créances…). Par ailleurs, la fraction du déficit d’ensemble susceptible d’être reportée en arrière par la société mère sur les profits de ses trois derniers exercices (carry back) est exclue du dispositif de réallocation des déficits. Les déficits réalloués à la filiale cédée seront exclusivement imputables sur ses propres résultats fiscaux. La loi ne précise pas comment doit être déterminée la fraction du déficit d’ensemble revenant à la filiale sortante. Cette fraction pourrait être déterminée de manière proportionnelle pour chaque exercice au titre desquels subsistent des déficits et moins-values en instance de report. Une autre option consisterait à accorder un droit d’imputation prioritaire à la filiale sortante, ce qui reviendrait à maximiser le montant des déficits réalloués à la filiale afin de faciliter sa reprise. Les commentaires de l’administration sur ce sujet seront attendus avec intérêt. Corrélativement, le déficit d’ensemble du groupe est minoré de la fraction ainsi répartie au profit de la filiale sortante, afin d’éviter tout risque de double imputation. Ce régime est complété par de nouvelles dispositions permettant à la filiale cédée de passer immédiatement d’un groupe intégré à l’autre, dès l’exercice de transfert de ses titres, afin de permettre au repreneur de bénéficier immédiatement de la mise en place d’une nouvelle intégration fiscale.
2. Qui soulève des interrogations
Cette réforme a pour objectif de faciliter la cession des filiales intégrées membres d’un groupe en difficulté en offrant au repreneur la possibilité d’imputer sur les résultats futurs de ces sociétés une fraction des déficits fiscaux qu’elles ont générés pendant leur intégration avec le cédant. Dans certains cas, on peut même imaginer que ce régime permettra au cédant de négocier un complément de prix auprès du repreneur, selon l’imputation future de ces déficits. Plusieurs critiques peuvent toutefois être émises à l’encontre de ce nouveau régime. Les plus sérieuses sont le caractère rétroactif et non optionnel de cette mesure. De fait, la loi s’applique «aux opérations intervenues au cours d’un exercice clos à compter du 1er janvier 2008». Cela signifie donc que les opérations de cession de filiale intégrée réalisées en 2008 (voire même en 2007 pour les groupes qui ont des exercices décalés par rapport à l’année civile !) seront ipso facto soumises à ce régime lorsque l’une des sociétés du groupe cédant faisait l’objet d’une procédure collective. Des groupes ont donc déjà cédé une filiale intégrée (i) sans savoir que cette filiale allait recouvrer ses déficits et (ii) par conséquent, sans les valoriser dans le cadre de la cession avec le repreneur (qui reçoit ainsi un cadeau fiscal inespéré). L’analyse des débats parlementaires montre que le Législateur avait principalement à l’esprit la situation de filiales opérationnelles rachetées dans le cadre de LBO aujourd’hui en difficulté3 . On peut supposer que pour ces opérations particulières, la possibilité pour la société mère de pouvoir utiliser un jour les déficits de sa filiale cédée était sans doute illusoire et que le caractère rétroactif de la mesure n’aura pas d’inconvénients majeurs. En revanche, les groupes intégrés constitués de plusieurs sociétés industrielles qui ont déjà procédé à la cession d’une de leurs filiales intégrées en difficulté pour en conserver les sociétés saines vont, rétroactivement, être privés de la possibilité d’imputer les déficits de la filiale cédée sur les résultats du groupe sans même avoir pu négocier un complément de prix avec le repreneur. Il serait donc souhaitable que ce régime soit amendé rapidement afin de lui conférer un caractère optionnel, à tout le moins pour le passé, afin de ne pas porter préjudice aux groupes constitués de plusieurs sociétés opérationnelles qui ont déjà procédé à des cessions entrant dans le champ de cette nouvelle mesure. A défaut, il conviendrait de s’interroger sur les recours dont disposeraient les contribuables lésés envers l’Etat et/ou le repreneur mais ceux-ci paraissent, de prime abord, délicats à mettre en œuvre. Par ailleurs, la réforme renouvelle la question de l’indemnisation des filiales sortantes en cas de perte du report des déficits générés par la filiale intégrée pendant sa période d’intégration. En effet, la jurisprudence avait eu l’occasion de préciser que la perte par la filiale sortante de ses déficits qui demeuraient acquis au groupe résultait de la seule application de la loi. Dès lors, les juges avaient considéré que l’indemnisation versée par la société mère à sa filiale était imposable4 . On peut se demander ce qu’il adviendra de cette jurisprudence, et plus généralement de l’existence d’une obligation d’indemnisation due par la société mère, en cas de cession d’une filiale intervenant dans un contexte de procédure collective si les déficits de la filiale ont déjà été entièrement utilisés par le groupe. N’y aurait-il pas là un cas «aggravé» d’obligation d’indemnisation de la filiale cédée dès lors que le groupe a bénéficié des déficits de la filiale alors que cette dernière aurait été autorisée, de par la loi, à les récupérer lors de sa sortie ? Quid du traitement fiscal de cette indemnisation ? On peut légitimement se demander si le législateur avait réellement anticipé toutes les incidences de cette réforme de dernière minute. Pour autant, sur le fond, cette mesure est la bienvenue en ce qu’elle favorisera la reprise d’entreprises en difficulté. ■